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Entretien

29 décembre 2020

François Bourdillon, médecin de santé publique, est l’ancien directeur général de Santé publique France. Mélanie Heard est enseignante-chercheuse au Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) et coordonnatrice du pôle santé de Terra Nova. Ils ont co-écrit la note « Vaccin Covid : réinventer la transparence » (https://tnova.fr/notes/vaccin-covid-reinventer-la-transparencepubliée par Terra Nova le 15 décembre 2020, avec Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon, et Patrick Zylberman, historien de la santé, professeur émérite à l'École des hautes études de santé publique.

Aujourd’hui, au moment où démarre la vaccination en France, quelle peut être la stratégie des pouvoirs publics pour augmenter l'adhésion au vaccin ?

François Bourdillon : Tout d’abord, réjouissons-nous ! L’épidémie étant toujours très active, le lancement de la campagne de vaccination est une bonne nouvelle. Cependant la défiance vis-à-vis de la vaccination en France est très forte : selon un sondage de Santé publique France de novembre 2020, 47% de la population hésitaient à se faire vacciner. Il est donc crucial de prendre des mesures pour renforcer l’adhésion à la vaccination. Pour cela, nous faisons deux propositions : la transparence vis-à-vis des décisions et l’exemplarité dans le domaine de la vaccination.

 

Mélanie Heard : La loi de démocratie sanitaire de 2002 définit deux dimensions de la transparence : la volonté de ne rien cacher, mais aussi l’intelligibilité du processus de décision. Cette deuxième dimension est moins mise en avant, alors qu’elle est cruciale. Elle est au cœur de nos analyses.

Les modalités du processus de décision sont-elles assez transparentes ? Il semble que les choix de priorisation de la population, les motivations de la stratégie vaccinale, le fait d’évoquer ou non l’hypothèse de la protection d’autrui sont peu explicités.

F.B. : La question est épineuse. Dans une épidémie telle que celle que nous traversons, il faut prendre des décisions alors qu’il persiste des angles morts scientifiques concernant le vaccin : par exemple nous ne savons pas si celui-ci permet de casser les dynamiques de transmission ? Nous sommes sûrs que le vaccin protège les individus ; mais la personne protégée pourrait quand même être porteuse du virus et le transmettre. D’où l’importance de l’intelligibilité du processus de décision : il faut expliquer les choix faits en l’absence de connaissances sur la transmission. C’est la logique de protection individuelle qui a été retenue face à cet angle mort scientifique sur la transmission, d’où le choix de vacciner en premier lieu les résidents d’EHPAD et les personnes vulnérables.

M. H. : Les trois objectifs classiques de la vaccination sont les suivants : la protection individuelle (logique médicale), la protection de la société et, en particulier, des travailleurs essentiels (logique socio-économique), et la logique altruiste d’interruption des chaînes de transmission (logique de santé publique). La HAS[1] a indiqué, dans sa recommandation du 30 novembre, ne retenir que les deux premiers objectifs : il faut saluer cet effort de clarification. La HAS expose qu’en l’absence de données confirmant que les personnes vaccinées ne transmettent plus le virus, la seule finalité avérée de la vaccination est de protéger les personnes vaccinées des formes graves de la maladie. De ce point de vue, la transparence au sens de l’intelligibilité est bonne : le choix de priorisation des plus vulnérables est logique.

Mais comment prend-on en compte les incertitudes scientifiques autour de la logique altruiste de la vaccination dans la construction de la stratégie politique ? Que fait-on au plan politique de cette incertitude scientifique ? L’hypothèse que le vaccin empêche de transmettre est-elle proprement écartée à ce stade, ou bien considérée comme probable ? Il aurait fallu plus de pédagogie sur cette question.

F.B. : Plus de pédagogie aurait également été nécessaire au sujet de la hiérarchie des priorités : d’autres personnes que les personnes âgées ne pourraient-elles pas être considérées comme prioritaires ? Un certain nombre de professionnels au sein de services hospitaliers sont très exposés : ceux des urgences, des services de maladies infectieuses, de réanimation, de gériatrie… Pour plus de transparence, il faudrait expliquer pourquoi ces professionnels de santé n’ont pas été priorisés dans les recommandations de la HAS : après tout, au-delà de la logique de santé publique qui est ici incertaine, la logique médicale de protection individuelle est pertinente pour les personnels de ces services très exposés.

Les pouvoirs publics semblent se référer en permanence à la parole scientifique, mais la décision de ne pas rendre obligatoire la vaccination des professionnels de santé s’écarte des discours des autorités scientifiques. Comment l’expliquer ?

F.B. : Ce choix peut en effet être discuté, notamment car la logique d’exemplarité dans la vaccination des professionnels de santé est extrêmement importante. Un certain nombre d’hommes politiques ont conscience de leur valeur d’exemplarité : Joe Biden, président élu des Etats-Unis, s’est fait vacciner face à la caméra. Le fait de se faire vacciner a valeur d’exemple, pour les politiques comme pour les médecins, car ces derniers ont un accès privilégié à l’information scientifique.

Une mise en perspective est nécessaire. Prenons l’exemple de la vaccination contre la grippe. Pour cette maladie contagieuse par voie aérienne, la dimension altruiste de la vaccination est prouvée, mais la couverture vaccinale des professionnels de santé en établissement de santé n’est que de 35 % : 67% pour les médecins, 36% pour les infirmières et 21% pour les aides-soignantes ! Il n’y a pas ici de valeur d’exemplarité, même si certains professionnels de santé portent pour cette raison un badge « je suis vacciné contre la grippe ». Plusieurs institutions souhaitent la mise en place de l’obligation vaccinale pour réduire les infections nosocomiales et pour cette valeur d’exemplarité.

Toutefois, il faut bien mesurer que si le vaccin du Covid-19 était rendu obligatoire et si les soignants refusaient de se faire vacciner, il s’agirait là d’un message négatif terrible vis-à-vis de la vaccination.

M.H. : Il est nécessaire d’asseoir la décision de recourir à certains outils d’incitation à la vaccination sur des données probantes, sur des raisonnements explicites. Le choix de ces leviers se fait par la mobilisation d’un savoir-faire de santé publique dans sa dimension la plus interdisciplinaire, croisant des données de sociologie, de philosophie, de science politique. Ces disciplines analysent et soutiennent les politiques vaccinales depuis longtemps.

Dès lors, il faut arrêter de se contenter de déclarer qu’il vaut mieux convaincre que contraindre et proposer une véritable réflexion sur les leviers d’incitation à la vaccination. Un ensemble de données extrêmement puissant montre bien l’efficacité de la logique d’exemplarité dans la vaccination des professionnels, moteur de la compliance des patients ! Cette question de la vaccination des soignants ne relève donc pas de l’opinion : on ne peut pas être « pour ou contre » tel ou tel levier, il faut regarder quelles données d’efficacité ils présentent.

F.B. : Les médias participent largement à présenter ces questions comme relevant de l’opinion. Ils invitent des experts qui expriment des avis personnels, et mettent en scène des débats entre des « pour » et des « contre ». Il faut saluer l’effort de réflexion pluridisciplinaire organisé au sujet de la vaccination du Covid-19, avec un comité scientifique de la vaccination, un avis du Comité consultatif national d’éthique, une concertation citoyenne… mais le relativisme omniprésent dans les médias remet systématiquement en cause cette réflexion. Combiné aux problèmes logistiques et aux retards de l’Europe dans le lancement de la campagne vaccinale, il nourrit un scepticisme dommageable dans la population.

Dès lors, comment faire valoir cette réflexion scientifique pluridisciplinaire dans le débat public ? Quelles sont les bonnes pratiques de communication à adopter ?

F.B. : Prenons l’exemple de la vaccination des enfants de moins de deux ans. L’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn a décidé de rendre obligatoires les vaccins dans un contexte de circulation active de certaines maladies en France, comme la rougeole. Le rôle de Santé Publique France était alors d’accompagner les politiques publiques de vaccination et de créer de la confiance. Parmi les dispositifs retenus, Santé publique France a organisé une concertation citoyenne présidée par le Professeur Alain Fischer, qui a permis notamment  sur la base d’études, de 11 000 contributions citoyennes faites en ligne, de faire des recommandations qui ont contribué à la prise de décision politique. Cette démarche a permis de réunir les argumentations nécessaires pour créer le site d’information Vaccination Info Service et d’oser faire du marketing social en lançant une campagne à la radio et à la télévision de promotion de la vaccination. Dépasser la communication institutionnelle pendant la semaine européenne des vaccinations et associer les citoyens à la réflexion grâce à des espaces de débat organisés par les ARS, les villes, les hôpitaux, les dispensaires, les centres de vaccination, a permis de gagner des points de couverture vaccinale, même chez les adultes. Nous pourrions nous inspirer de cette approche innovante aujourd’hui ! Il est nécessaire d’accompagner les politiques publiques de vaccination par une démarche collective de promotion de la vaccination.

M.H. : À ce sujet, nous pouvons saluer la mise en place d’une convention citoyenne ayant vocation à travailler sur ces enjeux autour de la vaccination dans les semaines à venir : elle pourrait être un levier très efficace de partage des arguments et de mise en débat des processus délibératifs et contribuer ainsi à la transparence.

F.B. : La lettre de mission de cette convention indique que son rôle est d’émettre des questionnements, d’exprimer des craintes liées aux enjeux éthiques et de s’exprimer sur les choix qui seront soumis au Conseil d’orientation… Ce rôle s’articule bien à celui des instances de décision.

Que sait-on de la façon dont on va mobiliser les professionnels pour la vaccination ?

M.H. : La question de l’information des professionnels de santé sur la vaccination Covid est en haut de l’agenda des autorités pour les prochaines semaines, dans sa double composante : inciter les professionnels à se faire vacciner et les aider à être les ambassadeurs de la vaccination auprès de leurs patients.

La relation de confiance entre le médecin traitant et son patient sera investie collectivement pour mettre en place la vaccination. Les stratégies de vaccination plus anonymes, comme les vaccinodromes mis en place dans les pays voisins, ont été exclues.

F.B. : La campagne vaccinale commencera par les institutions, notamment pour les questions logistiques de chaîne du froid concernant le vaccin Pfizer. Il y a également une volonté d’une part d’associer les médecins traitants à la campagne vaccinale pour ne pas refaire l’erreur de la grippe H1N1 en 2009 ; et d’autre part  de lever des barrières à la vaccination. Plus la vaccination est accessible, par exemple en pharmacie ou réalisée par un infirmier à domicile, plus l’on augmente la couverture vaccinale.

Ces réflexions autour de la transparence et de l’organisation de la vaccination sont-elles spécifiques à l’épidémie de Covid-19 ?

F.B. : Non ! Nous avons l’impression que ces questions sont nouvelles, mais l’histoire de la vaccination est très ancienne. Lors de l’épidémie de variole au XIXème siècle, la question de l’articulation des libertés individuelles et de la protection de la santé de la population en matière de vaccination était déjà posée ! Le mouvement antivax est un mouvement qui vient de loin, avec des interrogations anciennes, qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main, mais traiter sur le fond, avec le bagage de la santé publique.

M.H. : L’histoire de  la vaccination est aussi celle des arguments soutenant le bien-fondé de l’obligation vaccinale. Aborder une campagne de vaccination en considérant que l’obligation est par principe une idée dérogatoire et radicale est inexact. Des argumentaires extrêmement structurés ont été construits au fil du temps pour arbitrer entre la protection des libertés individuelles et la protection collective de la santé de la population : on peut citer l’arrêt fondateur de la Cour Suprême américaine Jacobson vs Massachussetts (1905)[2], mais la jurisprudence française a également statué très clairement sur le sujet. Nous plaidons pour une véritable pédagogie sur les décisions relevant de ces enjeux.

F.B. : John Stuart Mill disait que « Le seul but qui justifie que la force soit exercé envers un membre d’une communauté civilisée à l’encontre de sa volonté est de prévenir qu’un dommage ne soit causé à autrui ». Ce harm principle (principe de non-nuisance) résume bien ces débats vieux de plusieurs siècles autour de la vaccination, entre l’idée d’atteinte à la liberté individuelle et celle de protection collective de la population.

Propos recueillis le 21 décembre 2020.

 

[1] Haute Autorité de Santé.

[2] Cet arrêt a statué sur la légitimité de l’obligation vaccinale sur la base de plusieurs critères : la nécessité (l’obligation n’est légitime que si l’individu qui la subit représente une menace pour la collectivité) ; la proportionnalité de l’obligation en regard des alternatives moins restrictives envisageables (adéquation et économie des moyens) ; et enfin l’équité (l’obligation est ciblée sur un groupe qui présente effectivement des caractéristiques spécifiques en termes de risque pour autrui). Source : « Vaccin Covid : réinventer la transparence », François Bourdillon, Mélanie Heard, Gilles Pialoux, Patrick Zylberman, 2020.

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