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FOCUS #9

25 janvier 2023

Réforme des retraites et carrière des personnels soignants : tout est lié

Les réformes ont parfois leur destin lié.

Les salariés âgés sont ainsi bien souvent des aidants : la réforme des retraites n’est donc pas indifférente pour ce qui est du potentiel d’aide que représentent les sexagénaires, particulièrement les femmes, pour leurs ascendants. La réforme accentue encore la pression pour la prise en charge du grand âge.

Surtout, cette réforme renforce un peu plus, s’il en était besoin, la nécessité de se préoccuper des conditions de travail des soignants. Nous l’avons évoqué récemment pour les professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées, à domicile comme en établissement[1]. Le taux de sinistralité au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles y est particulièrement élevé. Or, dans bien des cas aujourd’hui, l’usure professionnelle ne permet pas aux soignants d’envisager un travail jusqu’à l’âge légal auquel faire valoir leur droit à la retraite à taux plein.

Quoi qu’on pense par ailleurs de la pertinence de la réforme des retraites, il est urgent de fournir aux professionnels du soin des perspectives quant à la suite de leurs carrières. Autre façon de le dire : ce n’est pas le moment d’aggraver encore la fuite des soignants.

" Au-delà des professionnels en poste, on n’a vraiment pas les moyens de dégrader encore l’attractivité du secteur du soin vis-à-vis des entrants putatifs, à qui il faut pouvoir offrir autre chose qu’une carrière statique jusqu’à 64 ans."

Il faut donc consolider les effectifs pour soulager les conditions de travail des professionnels en poste et renforcer les dispositifs susceptibles de limiter ou de pallier l’usure professionnelle. Au-delà des professionnels en poste, on n’a vraiment pas les moyens de dégrader encore l’attractivité du secteur du soin vis-à-vis des entrants putatifs, à qui il faut pouvoir offrir autre chose qu’une carrière statique jusqu’à 64 ans.

Pour ne pas faire fuir les personnels en poste et en attirer de nouveaux, il est donc crucial de dessiner des trajectoires professionnelles et de proposer des alternatives ou des développements en cours de carrière.

Il est urgent :

  • de consolider nos connaissances statistiques sur les carrières des professionnels du soin, comme l’a recommandé la Cour des comptes (qui pointait la dispersion des données sur le risque ATMP)[2], pour développer une action publique la plus pertinente possible ;
     

  • de renforcer la prévention des risques professionnels. Nulle fatalité en la matière. Un meilleur taux d’encadrement soignant auprès des patients est une condition sine qua non. Il permet notamment le travail en équipe. La mobilisation des équipements adéquats est une autre condition pour limiter les risques professionnels. De ce point de vue, la création de Fonds pour la prévention de l’usure professionnelle, prévue par la réforme des retraites, est un dispositif important dans le champ sanitaire et médico-social : il est destiné à cofinancer avec les employeurs des actions de prévention au bénéfice des salariés particulièrement exposés (sensibilisation, aménagement des postes, formation et reconversion). On l’a dit, l’enjeu est prégnant dans le champ sanitaire. Le dispositif permettant les départs anticipés à taux plein pour incapacité permanente sera lui aussi crucial dans ce champ… et sera sans doute fortement sollicité, pour autant que les moyens existent ;
     

  • de reprendre globalement le chantier des métiers du soin[3] pour donner des perspectives d’évolution de l’activité en cours de carrière : il va falloir enfin admettre qu’on ne garde son personnel qu’à la condition de lui offrir des perspectives de mobilité. C’est sans doute paradoxal et même contre-intuitif pour certains, qui raisonnaient sur des personnels « captifs » mais les professionnels qui le peuvent votent aujourd’hui avec leurs pieds. Albert Hirschman l’avait décrit en 1970 à propos des consommateurs, lesquels avaient à leur disposition la sortie (changer de fournisseur), l'interpellation (se plaindre) ou la loyauté (être fidèle à un produit ou à une marque)[4]. Il en va ainsi des professionnels aujourd’hui, qui mettent légitimement en concurrence les organisations de travail en fonction des conditions qui leur sont faites.

Stéphane Le Bouler

Président de Lisa

[1] https://www.lisa-lab.org/focus3-conditionsdetravail

[2] Cour des comptes, Sécurité sociale 2022, octobre 2022. « Chapitre VI – Les enjeux de la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour personnes âgées et personnes en situation de handicap »

[3] https://www.lisa-lab.org/focus-8-profession-sante-etatdurgence

[4] Exit, Voice and Loyalty, Responses to decline in firms, organizations and states, Harvard University Press, 1970.

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