FOCUS #5
8 novembre 2022
Contrôler les EHPAD : une action à conduire sur tous les fronts
Depuis l’ouvrage de Victor Castanet[1], en janvier dernier, personne ne peut plus fermer les yeux sur certaines formes de maltraitance institutionnelle au sein des maisons de retraite… et sur les ressorts économiques d’un tel système.
Les conséquences de la déflagration ont été nombreuses : le débat sur l’encadrement en personnels soignants a repris de la vigueur (sans que les conséquences concrètes en soient vraiment encore tirées) ; les pouvoirs publics ont constaté la carence des contrôles opérés par les Agences régionales de santé et ont renforcé les dispositions en la matière, en urgence et dans le cadre de la Loi de financement de la sécurité sociale 2023 ; le cours de bourse des principaux opérateurs a connu une descente vertigineuse, jusqu’à mettre en cause la pérennité d’Orpea, etc.
" À rebours de tant d’années de négligence, la régulation efficace de ce secteur suppose de mobiliser l’ensemble des outils à disposition, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets."
À rebours de tant d’années de négligence, la régulation efficace de ce secteur suppose de mobiliser l’ensemble des outils à disposition, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets :
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La défense des droits des usagers, particulièrement lorsque ceux-ci sont vulnérables ou insuffisamment représentés : la Défenseure des droits le rappelle opportunément dans les travaux que conduit cette institution, dont les moyens doivent assurément être renforcés pour bien prendre en compte les organisations médico-sociales ;
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La responsabilité sociale des entreprises : la réputation en Bourse s’est faite longtemps sur les profits accumulés, on sait désormais de quelle manière ; la dégringolade des principaux opérateurs a clos cette époque, du moins peut-on l’espérer ; la qualité de service vécue par les usagers et l’attention portée aux ressources humaines sont des clés de la performance économique et sociale durable de ces structures… Mais ne soyons pas naïfs : il faudra mettre en œuvre une évaluation multi-critères rigoureuse pour traquer le social washing ; on en est loin ;
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L’évaluation, justement, parlons-en ! Les pouvoirs publics ont beaucoup trop tardé à implanter des dispositifs ambitieux et contraignants. Espérons que, désormais, la Haute autorité de santé prendra toute la mesure de ses responsabilités en la matière ;
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La répression des fraudes : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a récemment publié un bilan[2] de ses contrôles sur les trois dernières années : affichage des tarifs, validité des clauses dans les contrats, loyauté des pratiques commerciales… Beaucoup de manquements ont été constatés, comme souvent. La DGCCRF est de longue date la vigie des pratiques du secteur, dans son périmètre de compétence : longtemps un peu seule, elle est aujourd’hui partie intégrante de la panoplie que les pouvoirs publics doivent déployer ;
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Le contrôle de l’usage des deniers publics : les EHPAD mobilisent des fonds de l’assurance maladie et des départements pour la prise en charge des sections de soin et de dépendance. La partition des dépenses entre les financeurs fait, depuis l’origine, l’objet d’âpres discussions a priori mais les contrôles quant à l’usage des ressources étaient défaillants ou trop espacés dans le temps… Espérons que les événements récents auront décillé les yeux des tutelles et les feront travailler conjointement en faveur de contrôles réguliers et rigoureux ;
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La régulation économique : les techniques d’optimisation des opérateurs ont montré toute la sophistication des pratiques. La dextérité des acteurs n’avait d’égale que la naïveté des pouvoirs publics. Ceux-ci doivent aujourd’hui se mettre à niveau, comme ils l’ont fait dans d’autres domaines économiques, pour mieux appréhender la formation des prix et des profits, comprendre les dynamiques de marché… Il leur faut aussi renouveler les outils pour limiter les situations de rente (liées en particulier aux mécanismes d’autorisation).
Quelques initiatives dispersées ne suffiront pas à rétablir la confiance et la performance économique et sociale durable du secteur des maisons de retraite.
Pour ne pas jeter l’opprobre sur tous les acteurs, encore moins sur les personnels, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités en déployant résolument toute la panoplie d’actions décrite ici. Il est plus que temps.
Stéphane Le Bouler, président de Lisa
[1] Victor Castanet, Les fossoyeurs : révélations sur le système qui maltraite nos aînés, Paris, Fayard, 2022