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FOCUS #28

28 novembre 2025

Grand âge : le vrai coût d’une prise en charge à la hauteur


L’Insee a publié récemment de nouvelles projections en matière de perte d’autonomie, avec en perspective une croissance des effectifs à hauteur de 700.000 personnes à l’horizon 2050 (soit une augmentation d’un tiers) et une augmentation des cas « sévères » (requérant une prise en charge adaptée) à hauteur de 400.000 personnes. Cette croissance est  exponentielle d’ici 2035. Rien de neuf sous le soleil statistique. Cet « effet volume » est connu depuis des lustres. Il est  d’ailleurs présent dans le débat public depuis bien longtemps. Ce qui ne signifie pas qu’on a agi en conséquence.

 

Mais à côté, deux autres effets sont généralement occultés. Ils sont pourtant massifs.


Le premier concerne le prix des facteurs et le coût principal dans cette affaire, ce sont les salaires versés aux personnels à domicile ou en établissement. Si on considère que les salaires en question doivent augmenter au même rythme que dans le reste de l’économie, ne serait-ce que pour préserver l’attractivité du secteur, on visera une augmentation de 13% en termes réels d’ici 2050. En euros courants, si on considère une inflation à hauteur de 1,5% en longue période, la progression est de 64%.


Le second concerne la qualité de la prise en charge, appelons-le l’effet de gamme. Pour ne pas encombrer le propos, le sujet principal ici concerne le taux d’encadrement à domicile et en établissement, notoirement dégradé à besoins de prise en charge donnés. Si on considère une augmentation du taux d’encadrement à hauteur de 80 ETP pour 100 résidents
(hypothèse raisonnée), l’augmentation est de 27%. Appliquons par convention cette même progression à domicile (ce qui minore clairement l’effort à réaliser) et considérons qu’on y arrive par paliers réguliers d’ici 2050.


Au total, l’augmentation du besoin de financement cumulant ces trois effets est un effet multiplicateur de 2,77 avec inflation (+177%), et 1,9 (+90%) hors inflation, d’ici 2050. L’OCDE prévoit un doublement des dépenses à cette échéance : on converge. Pour un coût global de l’ordre de 34 milliards aujourd’hui, on passe à 94 milliards en euros courants en 2050 et,
version plus proche de la capacité de financement, à 65 milliards en euros constants. 31 milliards à trouver. Si on raisonne sur une hausse régulière du taux d’encadrement d’ici 2035, le besoin de financement en euros constants est à cette échéance de +55%, soit 53 milliards. 19 milliards à trouver.


En pourcentage du PIB, on est à 1, 2 % aujourd’hui, 1,8% en 2035 et 2,2% en 2050. On se contente ici, rappelons-le, de viser ce qui paraît soutenable compte tenu de ce qu’a été la  politique publique jusque-là.

 

Plusieurs remarques.


Cet effort est destiné à prendre en charge les personnes en perte d’autonomie mais c’est aussi la condition sine qua non pour préserver le système de santé considéré globalement, en évitant notamment les déports systématiques sur l’hôpital par insuffisance d’encadrement dans les Ehpad et par défaut d’une politique domiciliaire à la hauteur de l’enjeu.


Il faut progresser simultanément sur les salaires – et l’ensemble des conditions de l’attractivité de ces métiers – et sur les taux d’encadrement. L’un ne va pas sans l’autre. Méconnaître les difficultés de recrutement et ne pas revaloriser les salaires à proportion de ce qui se fait dans le reste de l’économie est la meilleure façon de faire des économies, puisqu’on ne pourra pas recruter sans cela… mais c’est aussi la garantie de faire tomber le système, en dehors même du bien être des personnes.


Dire qu’il faut un effort de financement complémentaire ne préjuge pas de la répartition de cet effort entre public et privé et entre les collectivités publiques (État, branche autonomie et départements aujourd’hui).


Ces chiffres sont importants mais sans commune mesure avec ceux que l’on connaît ou que l’on anticipe en matière de retraites ou d’assurance maladie. Sur la durée du cycle de vie des personnes, cet effort apparaît même mesuré. Le problème est que l’on n’a guère fait de prévoyance jusque-là et que les produits d’assurance dépendance ne trouvent ni véritablement leur modèle, ni davantage (et pour cause) leur cible aujourd’hui.


Dans cette affaire, il faut donc apprécier la juste contribution de la solidarité nationale, réguler l’ensemble des dépenses pour éviter, comme cela est parfois le cas, de reporter la part non contrainte sur l’usager, construire cette participation sur une base redistributive (en considérant les ressources courantes et le patrimoine) et avec un dispositif protecteur de type « bouclier autonomie », et élaborer les dispositifs de prévoyance pour assurer le moyen terme, voire améliorer chemin faisant les conditions de prise en charge au-delà des projections faites ici. Ceci est à notre portée mais le mur financier est là, tout près désormais.

 

 

Marie-Anne Montchamp, ancienne ministre, directrice générale de l'Ocirp

Stéphane Le Bouler, président de Lisa

 

 

 

​Le Focus 28 a été publié par Les Echos dans son édition du 27 novembre. Merci beaucoup à ce journal. Le texte est reproduit ici pour le lectorat du site Lisa
 

                                                                             

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