FOCUS #26
20 novembre 2025
En complément de la tribune publiée le 19 novembre par plusieurs organisations, Lisa a souhaité illustrer la problématique des tarifs des médicaments essentiels à travers cette tribune d’Antoine Ferry, membre du bureau de Lisa et secrétaire général d’AMLIS.
Sans médicaments essentiels,
les patients en danger
La France traverse une crise dont les pouvoirs publics ne prennent pas la mesure : l’accès aux médicaments essentiels est menacé. En 2024, 39 % des Français ont déjà été confrontés à une pénurie, et dans 35 % des cas, aucune alternative n’était disponible. Derrière les pénuries, ce sont des traitements vitaux pour les malades chroniques et la continuité des soins qui sont fragilisés, mettant en danger la santé de très nombreux patients et relançant la question de la souveraineté industrielle du pays.
Une régulation paradoxale et ses conséquences
Les médicaments du quotidien dits « matures » ne sont pas innovants ou spectaculaires, mais ils sont essentiels pour nombre de maladies : hypertension, diabète, épilepsie, douleur, infections courantes, etc. Anciens, éprouvés et principalement fabriqués – on ne le dit pas assez – par des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France et en Europe, ils coûtent peu, mais leur valeur est immense : sans eux, pas de réponse rapide aux besoins de base des patients (et des complications coûteuses à la clé), pas de sécurité sanitaire, pas d’alternatives aux importations.
Pour donner à voir la dimension tarification, rappelons qu’une boite de 30 comprimés d’un anxiolytique largement prescrit est vendue par le laboratoire aux réseaux de distribution au prix de 82 centimes d’euros, une boite de 28 comprimés d’un traitement de la polyarthrite rhumatoïde 3,78 euros, un traitement de l’hypertension artérielle 3,45 euros pour 30 comprimés, etc.
Il est à cet égard important de préciser que 80% du volume des médicaments prescrits en France correspondent à des médicaments dont le prix de cession par les laboratoires est inférieur à 5 euros.
Ces médicaments sont donc le socle invisible de notre système de santé. Or ils sont aujourd’hui fragilisés par un modèle de régulation intenable.
"En régulant les produits du quotidien et les médicaments innovants de la même manière, le système entretient une illusion d’équilibre budgétaire... au détriment des patients et de notre tissu industriel"
Depuis des années, leurs prix sont abaissés sans tenir compte des coûts réels de production et de leur valeur thérapeutique, tandis que les charges réglementaires et fiscales s’alourdissent. Résultat : des marges en chute libre sur le marché français, des lignes de production qui menacent de fermer et des industriels en grande difficulté et donc... des risques de ruptures de stocks plus fréquentes allant jusqu’à des arrêts de commercialisation. Toutes ces menaces mettent en danger la santé de millions de Français.
Le paradoxe est d’autant plus criant que cette politique tarifaire délétère est justifiée par une volonté de maîtriser la dépense publique... dont la croissance est imputable aux traitements innovants, beaucoup plus coûteux.
En régulant les produits du quotidien et les médicaments innovants de la même manière, le système entretient une illusion d’équilibre budgétaire... au détriment des patients et de notre tissu industriel.
Le risque est l’accroissement de notre dépendance à des chaînes d’approvisionnement mondialisées. La crise sanitaire, nous a pourtant appris la vulnérabilité d’un système fondé sur des productions éloignées.
Des mesures indispensables pour préserver ces médicaments essentiels
Face à ce constat, l’AMLIS, qui rassemble les entreprises françaises produisant ces médicaments matures, formule trois mesures responsables :
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Mettre en place un moratoire sur les baisses de prix pour les médicaments matures d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) fabriqués en Europe et dont le prix est inférieur à 10 € ;
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Adapter la fiscalité sectorielle pour différencier les médicaments matures des innovations récentes, en créant deux mécanismes de régulation bien distincts ;
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Rendre opérationnel le mécanisme de revalorisation des prix, applicable aux produits déjà commercialisés, sur la base de critères objectifs (empreinte industrielle nationale et européenne, optimisation du parcours de soins, contraintes réglementaires, disponibilité des produits en tension) et le compléter avec des critères sociaux et environnementaux.
Ces mesures ne sont pas une faveur. Elles participent de la santé de millions de patients, et
concourent à la résilience de notre système de santé et à notre indépendance sanitaire.
Antoine FERRY
Secrétaire Général de l’AMLIS, membre du bureau de Lisa
