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FOCUS #21

24 octobre 2024

Trois domaines, trois rapports
aux usagers et aux territoires

Dans un débat sur la thématique de « l’écologie du soin », chère à Marie-Anne Montchamp, nous abordions récemment trois domaines de la santé intéressants par leurs rapports différents sinon antagonistes aux usagers et aux territoires : la santé mentale, la prise en charge du grand âge et la santé en population générale.

La santé mentale tout d’abord. On connaît le poids des associations de personnes en situation de handicap et des familles dans le champ du handicap en général, du handicap psychique en particulier. L’Unapei, l’Unafam et quantité d’autres associations ont montré la voie de l’organisation des prises en charge et de l’innovation. Le rapport au territoire est lui aussi original, avec le rôle du secteur[1], innovation majeure en son temps, en termes d’organisation de la prise en charge. L’infrastructure a vieilli, minée par les problèmes d’attractivité des métiers et de ressources soignantes dans le secteur public et débordée par la dispersion de l’offre. Il n’empêche, au moment d’amplifier le Feuille de route en santé mentale, érigée comme grande cause nationale par le Premier ministre, ces ressources d’organisation apparaissent importantes et se voient dans les Projets territoriaux de santé mentale (PTSM).

Le dossier du grand âge n’a pas ces ressorts, ces ressources. La représentation est encore émergente du côté des aidants et des familles ; elle n’est pas en capacité en tout cas de s’imposer face aux représentants des opérateurs en établissements d’hébergement ou, dans une moindre mesure, de l’aide à domicile. Tout au plus peut-on espérer une forme d’alliance entre les porteurs d’une part de l’intérêt général. Les territoires du grand âge sont eux aussi sur un mode plutôt régressif. L’Etat a décentralisé la compétence, sans jamais lâcher prise en vérité, au nom de l’universalisme, à travers ses opérateurs (au premier rang desquels les Agences régionales de santé) et une prestation à caractère national (l’allocation personnalisée d’autonomie) délivrée par les départements. Ceux-ci ont été érigés un temps (c’était en 2004) en tant que chefs de file de l’action sociale et médico-sociale mais ont vite perdu la main, concurrencés par les ARS et peu enclins à assumer en première ligne des dépenses croissantes. Au moment d’aborder la nécessaire mobilisation pour la prise en charge du grand âge, on oscille entre velléités de reprise en main par l’Etat, dissociation du domaine (le domicile aux départements et les établissements aux ARS) dont on voit difficilement comment elle pourrait fabriquer plus de coordination, et initiatives dispersées des acteurs territoriaux qui ne passent clairement pas à l’échelle[2] (cf. les initiatives en matière de logement intermédiaire).

Quant à la santé en population générale, dira-t-on que les associations de patients ont pris la place qu’on leur promettait à la fin des années 1990, au moment où s’élaborait la loi Kouchner[3] ? Ce serait sans doute aller vite en besogne : l’accompagnement des malades – chroniques en particulier – s’est renforcé mais la fonction tribunicienne porte peu, les associations de malades pèsent peu dans l’organisation des soins. Quant à la question territoriale, elle est au cœur des problématiques contemporaines d’accès aux soins sans qu’émerge pour autant une volonté résolue de prérogatives nouvelles du côté des élus ou d’association de ceux-ci du côté de l’Etat. Sauf exceptions, les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie (CRSA), au carrefour des corporations, des associations d’usagers et des élus n’ont pas réussi à s’imposer dans le paysage délibératif régional et les Projets régionaux de santé ne sont pas le lieu concret de discussion – et a fortiori de résolution – des problèmes d’accès aux soins.

La crise du Covid-19 avait illustré quelques dilemmes ou apories de l’action publique en santé[4], avec d’un côté la propension universaliste (la même règle pour tout le territoire, quelles que soient les prévalences) et d’un autre côté la mobilisation des ressources du local, qu’il s’agisse du rôle des élus ou de celui des professionnels de terrain, en ville en particulier. Dans un autre registre, celui de l’organisation des soins, les travaux de l’Irdes[5] sur la comparaison France/Allemagne ont bien montré les ressources combinées de l’organisation professionnelle et territoriale en matière de régulation des dépenses.

En vérité, on n’a pas le choix. La réglementation, la planification verticale, plus ou moins inspirée (à coup de numerus clausus ou de plans) peut se déployer à l’échelle nationale et depuis le centre. Si, en revanche, on raisonne régulation et innovations organisationnelles, on a besoin des acteurs intermédiaires et d’acteurs du territoire en responsabilité, ce qui suppose que l’Etat lâche prise sur certains registres d’action pour se recentrer sur la prospective stratégique, la péréquation et les normes en matière de qualité, via les opérateurs dont il s’est doté.

S’il est une leçon que l’on doit retenir en matière de régulation, c’est qu’on ne peut pas être en même temps planificateur, financeur, opérateur et… régulateur, au risque de faire mal chacun de ces métiers. Nous avions abondamment illustré cela au Haut Conseil de l’assurance maladie il y a quelques années, avec Anne-Marie Brocas.

 

                                                                                   Stéphane Le Bouler, président de Lisa

 

[1] Cf. site du ministère de la Santé https://www.sante.fr/lorganisation-des-soins-psychiatriques : « En psychiatrie, le "secteur" est organisé pour dispenser les soins de santé mentale à la population d’un territoire géographique précis. Ainsi, un secteur de psychiatrie adulte couvre une population d’environ 70 000 adultes et un secteur de psychiatrie infanto-juvénile, accueillant les enfants jusqu’à 16 ans, couvre environ 210 000 jeunes. Sur le territoire du "secteur", se trouve l’ensemble des réponses aux besoins en santé mentale de sa population : la prévention, les soins, le post-cure (séjour après une hospitalisation) et la réadaptation. D’un secteur à l’autre, l’offre varie par la composition des équipes, le nombre de structures, les soins proposés et... les délais d’attente. »

[2] Dr Julien Emmanuelli, Jean-Baptiste Frossard et Bruno Vincent (IGAS), Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie : les défis de la politique domiciliaire, se sentir chez soi où que l’on soit, mars 2024 https://www.igas.gouv.fr/Lieux-de-vie-et-accompagnement-des-personnes-agees-en-perte-d-autonomie-les

[3] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

[4] Étienne Nouguez et Anne Moyal « La médiation du local – Appréhender la gestion de la pandémie de Covid-19 par le bas », Questions de communication [En ligne], 45 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024 https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/35283#quotation

[5] Minery S., Or Z. (2024). « Comparaison des dépenses de santé en France et en Allemagne ». Irdes, Rapport, n° 590. https://www.irdes.fr/recherche/2024/rapport-590-comparaison-des-depensesde-sante-en-france-et-en-allemagne.html

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