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FOCUS #18

4 avril 2024

Santé-autonomie : potion amère ou gestion du temps long

C’est un fait : la situation budgétaire française est mauvaise, très mauvaise même.

Que l’on regarde du côté du budget (et ses 5,5% de déficit par rapport au PIB au lieu des 4,9% prévus) ou de la dette (3100 milliards, soit 110% de PIB), les normes maastrichtiennes sont bien loin : 3% de PIB pour le déficit et 60% pour la dette, rappelons-le.

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Source : Insee mars 2024

Si la situation est très dégradée, elle ne date pas d’hier[1]. Et pourtant, il y a peu, on distribuait encore les chèques à tout va et on envisageait des baisses d’impôts, pour les particuliers et les entreprises.

Tout d’un coup, les mêmes, à Bercy, se cabrent et entendent administrer une potion amère, non dénuée de démagogie quand on évoque des prestations de santé « open bar ». La faute à qui ?

Les dépenses et les recettes de Sécurité sociale ont augmenté de 112 milliards d’euros depuis 2019 (année de référence avant la crise sanitaire). L’excédent des administrations de Sécurité sociale – ASSO – (12,9 Mds €) – eh oui, il y a excédent – est lié au solde de la CADES (18 Mds).

" La responsabilité, ce n’est pas de découvrir un beau jour de mars 2024 l’état de la situation et de promettre des mesures fortes, de crainte de ne pas contenter les agences de notation. La responsabilité, c’est de proposer une perspective crédible dans la durée, pour l’organisation et pour les financements."

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Source : Insee mars 2024

De leur côté, les dépenses de l’Etat augmentaient de 114 milliards sur la même période quand les recettes n’augmentaient que de 24 milliards €, d’où un déficit de 5,5% du PIB. Autrement dit, l’Etat contribue aujourd’hui pour l’essentiel du déficit des comptes publics (à côté d’administrations publiques locales légèrement déficitaires et d’ASSO excédentaires).

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Source : Insee mars 2024

Au moment de procéder aux nécessaires ajustements, il ne faut pas perdre de vue ces données quant au rôle des différentes composantes de la dépense publique. Alors, oui, c’est vrai, les dépenses de Sécurité sociale ont dérivé dans des proportions considérables depuis 2019 mais avec des recettes dynamiques en face. Cela ne justifie pas la dérive mais cela relativise les responsabilités face à l’impasse budgétaire actuelle.

Si on s’intéresse aux seules dépenses de santé, avec 12,1% de dépenses par rapport au PIB, la France se situe désormais au 3ème rang parmi les pays de l’OCDE.

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Si on regarde, la part des dépenses de santé prises en charge par l’assurance maladie obligatoire, la France est cette fois championne du monde avec 81%. S’agissant de la participation directe des usagers, elle l’est aussi par la modestie de celle-ci. De fait, on a perdu, en France, le sens des sommes consacrées à la santé, invisibilisées par le tiers payant et l’obsession d’un reste-à-charge minimal. Laquelle s’est par exemple concrétisée, jusqu’à l’absurde, à travers le 100% santé dans le domaine de l’optique.

Graphique 7.10. Dépenses de santé par type de financement, 2021 (ou année la plus proche
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Il y a donc du grain à moudre pour la réforme et les ajustements. A condition de poser l’ensemble des termes du débat.

La responsabilité, ce n’est pas de découvrir un beau jour de mars 2024 l’état de la situation et de promettre des mesures fortes, de crainte de ne pas contenter les agences de notation. La responsabilité, c’est de proposer une perspective crédible dans la durée, pour l’organisation et pour les financements. Il faut, pour cela, sortir du court-termisme de l’annualité budgétaire. On ne bâtit rien de sérieux en matière de santé sur des pas de temps si courts.

Le sujet de la prise en charge des affections de longue durée (ALD) n’est pas tabou mais les usagers ne peuvent pas perdre sur tous les tableaux : les conditions de prise en charge financière et les possibilités concrètes d’accès aux professionnels de santé. Il faut donc articuler pleinement la réflexion sur les économies possibles et les contreparties en termes d’organisation et de tarification. C’est ce qui se joue normalement dans la convention médicale. Lisa avait travaillé le sujet il y a un peu plus d’un an[2].  Les conventions de l’assurance maladie sont là pour articuler une politique de revenus pour les professionnels avec les bonnes incitations en termes d’évolution du système de santé : accès aux soins sur le territoire, organisation concrète des structures professionnelles, coopérations équilibrées entre les soignants, amélioration des pratiques, développement de la e-santé… La convention permet normalement de gérer les choses dans la durée. Pas sûr qu’on prenne aujourd’hui le chemin d’une sortie porteuse d’espoir pour les usagers.

Autre exemple : la récente loi « Bien vieillir », déjà bien modeste, a perdu dans son dernier parcours parlementaire la promesse d’un texte de programmation pour le grand âge. De peur de devoir s’engager sur les moyens, on ne saisit pas l’occasion de dresser une perspective d’ensemble des besoins et des financements. A raisonner dans l’instant, on se prive des solutions potentielles. Qui ne voit qu’il y a de l’argent pour la prise en charge du grand âge ? L’épargne est abondante, l’assurance vie surabondante, les patrimoines ont été gonflés par des années de prospérité immobilière, à peine entamés aujourd’hui par deux années de déprime. Mais personne ne fait le pont entre cette épargne et les besoins d’une prise en charge de qualité au grand âge… Et l’on se refuse à poser la seule question qui vaille, celle de la répartition des efforts à consentir, entre classes d’âge en particulier. A force de chercher des solutions dans des petits pots, toujours les mêmes, on ne crée pas les conditions de la transition démographique. A quoi bon une cinquième branche autonomie s’il n’y a aucune perspective d’abondement ?

Le vieillissement nous ramène aussi à la question des maladies chroniques, en forte expansion évidemment sous la pression du nombre de personnes âgées et des progrès de la prise en charge. Cette courbe de croissance-là est, elle aussi, affolante. Il est pourtant de l’intérêt du système de l’aplanir. C’est là tout l’enjeu de la prévention, au nom du bien être évidemment mais aussi et tout bonnement au nom de la résilience du système. Au temps du Covid, on a pris les mesures fortes pour préserver le système hospitalier. Aujourd’hui, c’est la capacité du système de santé à faire face à la montée des effectifs à prendre en charge qui est en cause, en termes de financement et d’organisation. Il y a là, oui, une vraie raison d’aborder le sujet des maladies chroniques : pas pour rogner tel ou tel avantage dans une politique à courte vue mais pour aplanir la courbe par des actions résolues de prévention primaire et secondaire en population. On a entendu les discours ; on attend les actes.

Les arbitrages à courte vue ne doivent pas contraindre inconsidérément le déploiement des innovations. Lisa avait eu l’occasion[3] de saluer le rapport commandé par la Première ministre, Elisabeth Borne, sur les perspectives de l’industrie pharmaceutique française et les conditions pour ne pas décrocher par rapport aux promesses thérapeutiques actuelles. Les actes n’ont guère suivi. S’agissant cette fois des produits matures, les pénuries de médicaments sont devenues endémiques et participent de l’impression de délitement du système. Il ne faudrait pas que des restrictions budgétaires mal calibrées aggravent encore la situation.

Enfin, dans un autre registre, les conditions posées pour la campagne budgétaire 2024 des établissements de santé (4,3% pour les hôpitaux publics et non lucratifs et 0,3% pour le secteur privé lucratif) ne manquent pas non plus d’étonner. Les contraintes subies de part et d’autre, en termes d’inflation ou d’attractivité vis-à-vis des personnels de santé, sont-elles à ce point distinctes qu’elles justifient une telle différence de traitement ? Aurait-on choisi subrepticement de confier au seul secteur public et parapublic le soin de guérir les maux de notre système ? Là aussi, il semblerait opportun de raisonner à long terme sur les meilleurs moyens de conforter les avantages comparatifs de chaque type d’organisation.

 

[1] « Comptes sociaux : la bamboche, c’est bientôt fini » (janvier 2022) https://www.lisa-lab.org/comptes-sociaux-la-bamboche

[2] « Les conventions de l’assurance maladie avec les professions de santé : un outil à consolider et à mieux situer dans la panoplie de transformation du système de santé », mars 2023 https://www.lisa-lab.org/convention-de-l-assurance-maladie

[3] « Produits de santé : quelle nouvelle régulation ? », septembre 2023 https://www.lisa-lab.org/focus-16-produits-de-la-sante

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