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FOCUS #13

30 mai 2023

Que veut-on refonder au juste et pour aller où?

Les pouvoirs publics n’ont de cesse de mettre en avant le Conseil national de la refondation (CNR), dans le champ de la santé et du grand âge en particulier. Traductions concrètes dans ces deux champs : des propositions de loi bénéficiant du soutien des groupes majoritaires et du gouvernement.

Il est paradoxal d’avoir un tel débouché pour une « refondation » : soit il s’agit d’un grand-œuvre et l’on attend un texte ambitieux, porté par le gouvernement et – pourquoi pas ? – construit en bonne intelligence avec le Parlement ; soit il ne s’agit que d’ajustements à la marge, auquel cas on révoquera la notion de « refondation ».

La plupart des acteurs du grand âge ont ainsi eu l’occasion de pointer le peu d’ambitions de la proposition de loi « Bien vieillir », que sa rapporteure attendue, la députée Monique Iborra, n’a pas eu à cœur de défendre. Cette proposition de loi est aujourd’hui perdue dans les arcanes parlementaires et il n’est pas certain qu’il faille l’en sortir.

" Alors oui, il y a matière à refonder mais selon quels principes et pour nous emmener où au juste ?"

Dans le champ de la santé, les propositions de loi avec bénédiction du gouvernement se succèdent : la PPL (proposition de loi) Rist avait accompagné malencontreusement la discussion de la convention médicale, avec le succès que l’on sait pour celle-ci[1].

Récidive aujourd’hui, la proposition de loi Valletoux accompagne les premières discussions destinées à relancer l’élaboration de la convention médicale après le règlement arbitral intervenu début avril 2023.

Il est décidément curieux de mettre ainsi sous pression les acteurs conventionnels à travers des initiatives législatives qui empiètent largement sur le domaine conventionnel.

On pense notamment aux dispositions relatives au Conseil territorial de santé réunissant sans hiérarchie particulière l’ensemble des acteurs – et ils sont nombreux – concernés par les problématiques de santé sur le territoire, mais placé sous la tutelle de fait de l’ARS, susceptible d’agir en lieu et place des acteurs en cas de défaut de ceux-ci.

On pense aussi au rattachement de tous les professionnels de santé aux Communautés professionnelles territoriales de santé, ce qui suppose de généraliser celles-ci et de faire en sorte que nombre de professionnels qui n’y ont nullement contribué jusqu’à présent se retrouvent dans leurs objectifs… sans évidemment que la première génération de CPTS ait été encore évaluée (un « Tour de France des CPTS » est en cours).

Ou encore au fait de « rendre effective » la participation obligatoire à la permanence des soins, sans qu’on sache exactement comment.

Les pouvoirs publics sont sous pression : les difficultés de l’accès aux soins les obligent et ils présentent régulièrement les initiatives des groupes de la majorité comme des alternatives à des initiatives plus déterminées. Les autres groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat ne sont pas en reste.

Quelles que soient les arguties, il est légitime de se demander quel système on bâtit au juste dans ces affaires. Changements véniels ou cosmétiques ou prémices de modifications plus structurelles ? Dans le cas d’espèce, que veut-on faire de notre organisation de la médecine de ville ?

Le besoin de « refondation » a émergé dans le temps des difficultés post Covid, il a surgi des dérèglements nombreux de la période. Tous les domaines de l’action publique sont compliqués mais celui de la Santé l’est sans doute tout particulièrement. Il est en outre très mouvant ces dernières années et la crise du Covid a été une sorte de révélateur sur bien des aspects : notre organisation de la recherche et de l’expertise, nos dispositifs d’alerte et de planification, nos stocks stratégiques (expérience – inédite – du manque sur les équipements de protection comme sur les principes actifs ou des médicaments-clés), nos ressources humaines, nos organisations, notre façon de fabriquer la décision publique (organisation du régalien, déficit de « démocratie sanitaire », rôle assigné aux collectivités locales et aux corps intermédiaires) mais aussi la place de la santé dans notre vie privée/publique (enfermement généralisé à travers le confinement, défiance vis à vis de la science... et en même temps trésors d’inventivité et de solidarité, sur le terrain ou dans les établissements de santé).

Alors oui, il y a matière à refonder mais selon quels principes et pour nous emmener où au juste ?

Puisqu’on use du vocable de la refondation et puisqu’on utilise l’acronyme « CNR », il n’est pas inutile de rappeler ce que fut la refondation bâtie dans le creuset de la Résistance et à la fin des années 1950 sous l’égide du professeur Robert Debré : consolidation de l’infrastructure hospitalière et de recherche (constitution des CHU et des organismes de recherche), restructuration de la pratique médicale entre refonte de la formation, réorganisation des temps en ville et à l’hôpital et montée en charge de la Sécurité sociale, compromis complété au début des années 1970 avec la création des conventions médicales, puis par l’instauration de la régulation des effectifs (le numerus clausus) et les prémisses de la maîtrise médicalisée des dépenses dans les années 1980.

Cette construction ambitieuse s’insérait dans un cadre beaucoup plus large encore, ce que les économistes ont appelé la « régulation fordiste ».

Le système fondé à l’époque n’est pas resté immuable depuis, sous le poids de facteurs endogènes (extension progressive des risques couverts, développement de l’offre de soins et des infrastructures, progrès technique, division du travail soignant, chronicisation des maladies, etc.) ou exogènes (vieillissement de la population, évolution des comportements de demande de soins, crises sanitaires successives, ouverture des frontières et globalisation de la santé, etc.).

Evidemment, on est un peu pris de vertige quand on rapproche la refondation impulsée par Robert Debré et les gouvernements de l’époque et ce qui tient lieu de refondation aujourd’hui. Et cette distance est à soi seule une difficulté.

Non pas que les motifs à refonder manquent.

Non pas que, dans les différents compartiments, il n’y ait pas de réformes substantielles.

Ce qui manque c’est un discours unifiant et qui porte le sens, l’ambition et l’engagement des acteurs. Ce qui manque aussi c’est le projet dans lequel insérer cette refondation du champ de la santé. Projet économique, projet lié aux transitions démographique, numérique ou climatique, au rapport au travail, à l’aménagement du territoire…

A moins qu’il y ait derrière ces initiatives dispersées un projet qui nous ferait changer de modèle. Subrepticement. Il serait en tout cas malvenu et même dangereux de changer les caractéristiques et les « formes institutionnelles » de notre modèle du seul fait d’une incapacité à inventer une nouvelle régulation.

LISA, en tout cas, poursuivra ses efforts en ce sens.

Stéphane Le Bouler, président de LISA

 

[1] https://www.lisa-lab.org/focus-10-propositions-de-loi

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