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Entretien

25 mars 2021

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François Bourdillon, médecin de santé publique, est l’ancien directeur général de Santé publique France.

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Mélanie Heard anime le pôle santé à Terra Nova.

« L'école, comme le reste de la société, doit s'emparer de la prévention »

Comment est mesurée la diffusion du virus dans les écoles ?

François Bourdillon : La stratégie française repose sur la mesure des cas identifiés comme positifs. Cependant, la plupart des enfants sont asymptomatiques et non testés si bien qu’il est difficile d’estimer le niveau de circulation du virus dans les écoles. Les études aléatoires représentatives réalisées dans les écoles anglaises sont bien plus efficaces de ce point de vue. Elles permettent de mieux estimer la part d’élèves porteurs du coronavirus.

Mélanie Heard : En France, il n’y a pas de dispositif fiable et transparent en open data de comptage des cas à l’école. Deux raisons peuvent l’expliquer : d’une part la démarche de dépistage revient à la famille, d’autre part, on ne déclenche l’alerte qu’à partir de trois cas déclarés dans une même classe (cette définition d’un cas contact entraînant un mauvais dénombrement dans les écoles). Pour les dépistages réalisés à l’école, nous n’avons pas accès à des données fiables. Le ministre a communiqué des chiffres sur les plateaux ces derniers jours, mais leur interprétation reste floue.

Pensez-vous que la diffusion des tests salivaires va améliorer la mesure de la diffusion du virus dans les écoles ?

F.B. : Le test salivaire est un progrès. Il est moins intrusif que le test nasopharyngé, et donc mieux accepté. Cela permet de réaliser plus de tests chez les enfants. Toutefois, cela ne suffit pas : pour établir l’incidence et la prévalence en milieu scolaire, les échantillons et les enquêtes apparaissent nécessaires, et cela dès le premier cas positif.

Il existe en France un vrai déni de la circulation du virus au sein des écoles. Ses facteurs sont multiples : l’absence d’échantillon aléatoire, le manque de données autour des cas positifs chez les enfants de 0 à 9 ans, la moindre sensibilité des enfants à l’infection. L’agrégation de ces facteurs a amené à considérer l’école comme un sujet de moindre importance. Or ce n’est pas parce que les enfants sont moins sensibles au virus qu’ils ne sont pas infectés et qu’ils ne le transmettent pas.

M.H. : Personne ne sait combien de tests salivaires sont pratiqués dans les écoles à l’heure actuelle. C’est d’ailleurs une revendication des syndicats de la communauté éducative depuis de nombreuses semaines.

Dans votre article dans le journal Le Monde[1], vous parlez de l’importance d’une stratégie de prévention pour garder les écoles ouvertes sans alimenter une reprise de l’épidémie, en quoi consiste une telle stratégie ?

M.H. : La stratégie de prévention aurait deux piliers : la surveillance, pour mesurer et alerter ; et l’information sur le risque, pour donner à ceux qui doivent se protéger les moyens de le faire. C’est là que nous identifions un manque : nous avons besoin d’une didactique du risque. Il faut adapter les messages, en montrant aux jeunes comment ils peuvent adapter leurs comportements au risque, pour se protéger et nous protéger tous.

L’expertise en matière de prévention, de communication et d’éducation sur le risque est déjà disponible dans beaucoup de politiques de santé publique (sécurité routière, prévention alcool, etc.) avec des outils conçus pour les jeunes. Ceux-ci reposent d’abord sur l’empowerment. Les jeunes ont besoin qu’on leur témoigne notre reconnaissance sur les efforts qu’ils ont déjà consentis et qu’on leur dise que l’on compte sur eux. Les outils didactiques devraient également permettre d’ouvrir le dialogue dans la classe, sous la forme par exemple de petites vidéos adaptées à chaque âge expliquant les bons comportements, de concours de scénarios, de bandes-dessinées… Aujourd’hui, on laisse en première ligne des enseignants démunis, pour qui il n’est pas facile de répondre aux questions des élèves. La communication sur la santé est mise de côté, alors qu’on dispose des moyens pour la mettre en œuvre.

F. B. : La dérogation, qui établit une fermeture de classe à partir de trois cas positifs, nous interpelle. Pourquoi ne pas alerter dès la présence d’un cas dans une classe ? Il s’agit de lutter contre une maladie transmissible. La logique employée en Asie, en Australie et en Nouvelle-Zélande, est la politique de « zéro Covid ». Les mêmes protocoles doivent s’appliquer à l’école et dans les autres lieux de vie.

De plus, il n’est pas opérationnel de demander systématiquement le consentement des parents pour effectuer un test. Il conviendrait d’adopter une stratégie « opt-out », c’est-à-dire de réalisation de tests sauf opposition des parents. Une solution opérationnelle consisterait alors à considérer les élèves de la classe comme cas contact, dès l’apparition d’un cas dans une famille ou à l’école, à les tester rapidement et à vite les isoler. Attention, une fermeture de classe n’est pas une fermeture d’école. On peut très bien fermer des classes sans fermer les écoles.

Qui doit prendre en charge cette prévention selon vous ?

F.B. : L’école, comme le reste de la société, doit s’emparer de la prévention. Il apparaît nécessaire de mobiliser une taskforce dédiée avec des personnes qualifiées, afin de déployer une stratégie de prévention rigoureuse et précise avec des protocoles clairs et des moyens financiers.

L’action ne peut pas passer seulement par l’instruction ministérielle ; nous avons besoin d’un engagement communautaire. Il faut réussir à mobiliser les élèves, les professeurs et les établissements, en leur expliquant la démarche de réduction des risques, selon laquelle la somme de tous les comportements barrières réduit la circulation du virus. De plus les établissements scolaires doivent s’engager dans des stratégies d’aération des classes. L’achat de capteurs de CO2, qui permettent d’avoir des mesures objectives de la teneur en CO2 et de la circulation de l’air devrait être envisagé en lien s’il le faut avec les communes ou les régions.

M.H. : La mobilisation de la société civile et des enseignants est en effet très importante, tout comme la question des capteurs de CO2. Nous avons la chance dans notre pays d’avoir des chercheurs en physique fondamentale et des ingénieurs, qui se mobilisent pour utiliser cet outil, un collectif comme Du côté de la science qui promeut les bonnes pratiques, et des centaines d’enseignants qui mettent en pratique dans leur classe l’utilisation des capteurs. Tous ces acteurs s’associent sur ce sujet de santé pour contribuer à l’intérêt général dans leur champ de compétence. Mais les capteurs de CO2 concernent encore trop peu de classes.

Quelles raisons peuvent expliquer le fait que l’école ne se saisisse pas encore pleinement de ces moyens de prévention ?

M.H : La question fait sens : des données produites par l’UNESCO[2] montrent que la France est le deuxième pays du monde à avoir le moins fermé ses écoles depuis le début de la pandémie, avec la Norvège et l’Ouzbékistan. Si on regarde les faibles taux d’incidence en Norvège et en Ouzbékistan, on peut être surpris de la décision française.

Le Ministère de l’Education nationale a apporté une réponse très insatisfaisante à cette question, en affirmant simplement que la France est le pays des Lumières, et qu’elle doit à ce titre garder les écoles ouvertes. Cette réponse n’est pas recevable. Au contraire, le pays des Lumières devrait pouvoir se mobiliser face à un risque et donner à chaque personne concernée les lumières nécessaires pour s’en protéger. Je rappelle que la devise des Lumières, dans le texte fondateur de Kant, est « Sapere Aude ! » : or on ne peut pas dire que les autorités fassent actuellement preuve d’un réel courage pour savoir ce qu’il en est réellement dans les écoles.

F.B. : Parmi les raisons avancées pour expliquer cette réticence, on retrouve les craintes concernant l’impact pédagogique d’une éventuelle fermeture de classe sur les élèves, qui est également une problématique sociologique et psychologique ; ainsi que l’impact économique, avec des difficultés à combiner télétravail et garde d’enfant.

M.H. : On pourrait aussi l’expliquer par un biais cognitif au début de l’épidémie. On redoutait une situation similaire à celle d’une épidémie de grippe, c’est-à-dire dans laquelle l’école est un réservoir de l’épidémie. Une fois qu’il a été établi que ce n’était pas le cas avec la Covid-19, l’attention portée aux écoles a été extrêmement réduite. Pourtant, ce n’est pas rien ! Le fait que l’école n’amplifie pas la pandémie ne doit pas empêcher d’y réfléchir.

Si on prend maintenant les mesures que vous défendez, combien de temps faudra-il pour mettre en place ce dispositif de prévention ?

F.B. : La prévention est un investissement ; plus on la met en place précocement, mieux c’est. On a choisi de laisser les écoles ouvertes ; très bien mais une telle décision doit être accompagnée d’une politique affirmée de prévention basée sur des protocoles écrits stables et la mobilisation des établissements, des enseignants et des élèves. Nous avons besoin de l’énergie de terrain, il faut valoriser des initiatives originales et locales. Cela permet de renforcer la prévention et de rassurer la population.

Lorsqu’un enfant ou un adolescent est considéré cas contact ou cas positif, il est amené à s’isoler. Comment sont accompagnés les jeunes pendant cette période ?

M.H. : Toute la stratégie de dépistage n’a de sens que si les cas positifs et les cas contacts s’auto-isolent de manière rigoureuse et responsable. Cette stratégie repose sur une confiance réciproque entre l’institution scolaire et les familles. Ces dernières doivent pouvoir faire confiance à l’institution et se sentir soutenues. Le choix de l’auto-isolement n’est pas facile, à la fois par souci de réussite scolaire (par exemple en phase d’examen pour les adolescents), par appétence pour la sociabilité, etc. Les familles doivent donc être encouragées à prendre les bonnes décisions. Un minimum de bonnes pratiques et de garanties peut être donné aux familles via un contact régulier avec l’équipe pédagogique, ou l’accès facilité aux devoirs.

F.B. : L’auto-responsabilisation est très importante. Tout le monde est acteur de la prévention : si un élève présente des symptômes il doit s’auto-confiner et se faire tester ; si un élève est diagnostiqué positif, même s’il est asymptomatique, il doit rester chez lui. C’est le plus important.

M.H. : Tant que l’on répètera que l’école n’est pas un lieu à risque et que les enfants ne peuvent pas tomber malades, nous ne pourrons pas compter sur les parents pour être vigilants.

Dans quelle mesure la diffusion des nouveaux variants sur le sol français va-t-elle modifier la diffusion du virus dans les écoles ? Les variants nécessitent-ils la mise en place d’une nouvelle stratégie pour lutter contre le virus au niveau des écoles ?

F.B. : Les nouveaux variants sont plus contagieux, et semblent aussi plus mortels. En quelques semaines, le variant anglais est devenu majoritaire en France. C’est un argument supplémentaire pour mettre en place une stratégie « zéro Covid ». Il faut adopter une stratégie globale très offensive, tout en laissant les écoles ouvertes.

M.H. : Le protocole a déjà été ajusté, avec plusieurs changements sur les variants. Début février, la procédure de cas contact était déclenchée dès l’apparition d’un premier cas positif au variant anglais. Aujourd’hui, le variant anglais est de nouveau entré dans la dérogation, et il faut attendre trois cas pour donner l’alerte. Pour les variants sud-africain et brésilien, la procédure de déclenchement est enclenchée dès l’apparition d’un cas.

F.B. : Ces changements de direction rendent incompréhensible la politique publique. Cela contribue à une perte de confiance générale.

Êtes-vous finalement favorables au maintien de l’ouverture des écoles ?

M.H. : Je suis favorable au maintien des écoles ouvertes, à condition qu’un débat public soit conduit. Ce choix a pour l’instant été fait sans l’accord des citoyens, sans instruction des deux branches de l’alternative. Nous avons besoin d’un débat public clair, pour que chacun comprenne que ce choix de maintenir les écoles ouvertes comporte aussi des risques pour le contrôle de l’épidémie. Tant que le risque est minimisé par les autorités et que le choix qui est fait nous est présenté comme une sanctuarisation idéologique de l’école, il ne peut pas y avoir ce débat.

F.B. : Je ne suis pas pour la fermeture des écoles ! Nous comprenons le maintien de leur ouverture, mais nous ne devons pas pour autant méconnaitre leur rôle dans la transmission. Seule cette reconnaissance permettra de casser les chaînes de transmission à l’école – c’est d’autant plus nécessaire avec l’arrivée du nouveau variant, plus contagieux.

Propos recueillis par Julie Jolivet et Manon Bergeron, le 16 mars 2021.

 

[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/24/en-france-il-existe-un-deni-du-risque-de-l-epidemie-a-l-ecole_6070995_3232.html?fbclid=IwAR3aMPkW2Ya4d10-BXMW1oAqnYjMOHj14jDnUkHUYoice-0NvLK-5zeYAjM

[2] https://en.unesco.org/covid19/educationresponse

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