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FOCUS #17

3 janvier 2024

1er janvier 2024 : quelles étrennes pour le grand âge ?
À propos du service public départemental de l’autonomie et du dispositif MaPrimeAdapt’

Étrennes fastes, diront certains ! En ce début d’année, en effet, voient le jour deux innovations dont il est question de longue date dans les discussions sur la prise en charge du grand âge : la préfiguration du service public départemental de l’autonomie (qui fait suite au rapport de Dominique Libault de mars 2022[1]) et le dispositif MaPrimeAdapt’ (issu du rapport de Luc Broussy de mai 2021[2]).

On y verra, selon les points-de-vue, des avancées intéressantes vers une meilleure prise en charge du grand âge et un soutien à domicile renforcé, ou l’expression des non-choix et des demi-mesures qui caractérisent le secteur depuis tant d’années.

Le service public départemental de l’autonomie, tout d’abord.

De quoi s’agit-il ?

Selon les termes de l’appel à manifestation d’intérêt publié par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et la Direction générale de la cohésion sociale le 15 septembre 2023, qui a abouti à la sélection de 18 départements préfigurateurs, « l’objectif du Service public départemental de l’autonomie est d’apporter équité et simplicité dans le parcours des usagers, quels que soient leur lieu de résidence et l’objet de leur demande : inclusion, adaptation de l’habitat, accompagnement social…

Le service public départemental de l'autonomie ne suppose pas de modèle unique d’organisation en territoire ni de fusion ou de création d’un nouveau dispositif. Il s’agit de partir des organisations et des spécificités locales pour bâtir partout en France des modalités de travail entre acteurs de l’autonomie renforcées et efficientes, répondant à des exigences communes de service public. [Un] socle de quatre missions [a été défini] :

  • Garantir l’accueil, l’accès à l’information, l’orientation et la mise en relation avec le bon interlocuteur sans renvoi de guichet en guichet ;

  • Attribuer les prestations dans le respect des délais légaux ;

  • Appuyer les professionnels du social, du médico-social et du sanitaire pour répondre aux besoins des personnes, même les plus complexes ;

  • Réaliser des actions de prévention et aller vers les plus vulnérables. »

 

Remarques de méthode et de gouvernance tout d’abord :

  • Pourquoi donc une préfiguration limitée à 18 départements ? L’ensemble des départements pouvaient tout à fait préfigurer le dispositif. Pourquoi s’en tenir à des volontaires choisis ? S’il s’agissait d’une expérimentation en bonne et due forme, cela aurait pu avoir du sens mais pas de place ici pour l’expérimentation, vu que le dispositif a vocation à être généralisé en 2025. Sur quels enseignements de la « préfiguration » ? Mystère ! 
    Problème très concret lié à ce choix : la communication au niveau national sera évidemment très compliquée quand moins de 20% des départements sont concernés.

  • Il fut un temps où l’on confiait des compétences aux départements, à charge pour eux de les mettre en œuvre. Cela s’appelait la décentralisation. Dans le cas présent, l’Etat et son bras armé, la CNSA, choisissent des territoires préfigurateurs… Curieuse évolution.

  • Il fut un temps aussi où l’on parlait de collectivité chef de file. Le concept avait même obtenu une consécration constitutionnelle. C’était en 2003 et les départements avaient été érigés en collectivité chef de file de l’action sociale et médico-sociale, ce qui signifiait qu’ils avaient vocation à piloter l’ensemble des acteurs (État, autres collectivités, caisses de sécurité sociale, autres opérateurs).  Certes, les départements ont dû ici se porter candidats pour la mise en place du service public départemental de l’autonomie mais, s’ils ont un rôle pivot, le dispositif ne leur confère pas de responsabilité particulière, en tout cas pas celles d’un chef de file.

 

Ces remarques rejoignent bien entendu le fond du problème. Le Rapport Libault pointait très bien les défauts de coordination, de lisibilité pour les usagers, les pertes d’efficience mais ne proposait pas de simplifications drastiques du paysage institutionnel et des responsabilités et n’envisageait même pas de formes de délégation de tâches entre acteurs.

Le service public départemental de l’autonomie facilitera sans doute les parcours de certains usagers, mettra du lien entre des guichets séparés, corrigera quelques sources de gaspillage, etc. Mais contrairement à la communication qui en est faite, il ne corrigera pas forcément les problèmes essentiels :

  • Les délais d’évaluation des besoins d’aide : c’est le goulot d’étranglement du système. On est très loin d’une réponse adaptée à l’urgence de certaines situations (en sortie d’hospitalisation ou lorsqu’une personne aidée se retrouve seule) ; plusieurs mois sont parfois nécessaires et ce n’est pas une question de guichets multiples, mais tout simplement une question de moyens dans les équipes médico-sociales des départements. Peut-être aussi une forme de régulation…

  • L’équité : les pratiques d’évaluation sont disparates sur le territoire, les marges d’appréciation des départements dans la mise en œuvre du barème APA ne sont pas négligeables, sans parler des tarifs pris en charge. En quoi le service public départemental de l’autonomie concourt-il à corriger ces biais de traitement ? La décentralisation dont il était question ci-dessus crée, par construction, des distorsions. A l’État de fixer les règles a priori (resserrer les barèmes) et de corriger les disparités ex post. Cela s’appelle la péréquation, notion elle aussi remisée depuis des lustres.

  • La simplicité du parcours de l’usager : l’usager est confronté à des guichets multiples ; espérons que le dispositif mis en place permettra de ne plus laisser toute la charge de la coordination à l’usager et à ses proches… Mais quels progrès au juste par rapport aux dispositifs existants – les vieux CLIC[3], les MAIA[4], les DAC[5], qui intègrent ces dernières ? L’usager est aussi de plus en plus confronté aux difficultés liées à la dématérialisation des guichets : le tout numérique n’est pas une solution dans la prise en charge du grand âge. Espérons au moins que le service public de l’autonomie prendra en compte l’illectronisme…

 

Qu’est-ce au fond que ce service public ? Est-il opposable ? Encore une question enfouie de longue date (on l’avait évoquée pour le « service public de la petite enfance » dans les années 2000). Respectera-t-il les grands principes du service public : égalité, continuité, mutabilité (adaptation), accessibilité (qui concerne non seulement les guichets mais bien entendu aussi les prestations et services afférents) ? Autant de questions ouvertes, qui seront en tout cas utiles pour l’évaluation de ce nouveau dispositif.

Quels seront d’ailleurs les critères d'évaluation ? Sur quelles bases pourra-t-on affirmer qu'il y a vraiment eu une simplification tant pour les personnes concernées que pour les professionnels impliqués ? Sans évaluation simultanée, le risque est grand de créer une couche supplémentaire.

Le dispositif MaPrimeAdapt’ ensuite.

L’aide MaPrimeAdapt’ est attribuée sous conditions de ressources et s’adresse aux personnes en situation de handicap justifiant d’un taux d’incapacité supérieur ou égal à 50 % ou éligibles à la prestation de compensation du handicap (PCH), aux personnes entre 60 et 69 ans en perte d’autonomie précoce et aux personnes âgées de 70 ans et plus, quel que soit leur niveau de dépendance. Elle est destinée à financer différents travaux d’adaptation intérieurs (monte-escalier, aménagement de salle de bain, WC surélevés et barre d’appui, aménagement de cuisine, éclairage à détection de mouvement, etc.) et extérieurs (rampe d’accès vers l’entrée du pavillon, place de parking PMR, installation de volets roulants, élargissement de la porte d’entrée, etc.), dans la limite d’un plafond de travaux de 22.000 euros hors taxes et selon le niveau de revenus du ménage. L’aide en question peut financer jusqu’à 50 % ou 70 % du montant des travaux. Cette aide remplace plusieurs dispositifs[6]. Le dépôt des demandes d’aide s’effectue directement sur la plateforme de demande d’aide MaPrimeAdapt’ ou auprès des délégations locales de l’Anah.

" Surtout, cette aide remplace pour une large part des aides existantes et n’est pas à la hauteur des enjeux selon la Cour des comptes, voire n’est pas forcément bien ciblée [...] "

Un certain nombre des préoccupations évoquées plus haut se retrouvent ici : accessibilité des guichets (physiques ou en ligne). Au moins peut-on espérer que dans les départements couverts par le service public de l’autonomie, l’accès à cette aide sera facilité…

Au-delà de ces questions d’accessibilité, le dispositif semble entériner le retrait des départements sur ce registre de l’aide : les éléments rapportés ci-dessus (qui ressortissent de la communication officielle) ne mentionnent pas le financement par les prestations existantes, dont l’APA… même si on sait que celle-ci est essentiellement consacrée aux aides humaines.

Le plafond de travaux est relativement élevé mais la conditionnalité aux ressources limite le périmètre de population concerné et, à l’autre bout de l’échelle des revenus, le plafonnement de l’aide (jusqu’à 50 ou 70% du montant des travaux) peut être un frein important pour les foyers modestes. Surtout, cette aide remplace pour une large part des aides existantes et n’est pas à la hauteur des enjeux selon la Cour des comptes, voire n’est pas forcément bien ciblée : « Les objectifs de logements à adapter pour tenir compte du vieillissement, ont été fixés à 680 000 sur 10 ans, soit 68 000 logements par an en moyenne contre 50 900 en 2021. Ils ne couvriraient dès lors pas le besoin estimé des deux millions de ménages identifiés comme prioritaires et n’apporteraient de réponse que pour les 500 000 ménages vivant dans des conditions sanitaires très dégradées. [L’accompagnement également financé dans ce cadre] ne permettra pas une analyse des situations individuelles pour lesquelles les travaux seraient à déconseiller au profit d’un parcours résidentiel adapté du fait de l’état des personnes ou de la configuration des logements visés. […] L’enjeu de l’adaptation des logements sociaux est aujourd’hui insuffisamment pris en compte. Il en va de même pour le développement des parcours résidentiels. Enfin, les besoins de rénovation ou de construction de logements collectifs abordables pour les séniors, ou encore les grands enjeux d’urbanisme et de mobilité, dépassent largement le cadre de ce nouveau dispositif. »

Les dispositifs qui se mettent en place au 1er janvier 2024 sont assurément une contribution au chantier d’un soutien à domicile renforcé. Celle-ci n’apparaît pas pour autant déterminante.

 

Stéphane le Bouler, président de Lisa

[1] https://handicap.gouv.fr/vers-un-service-public-territorial-de-lautonomie-dominique-libault-remet-son-rapport-au

[2] https://www.vie-publique.fr/rapport/280055-80-propositions-pour-un-nouveau-pacte-entre-generations

[3] Centre local d’information et de coordination – gérontologique

[4] Méthode d'action pour l'intégration des services d'aide et de soins dans le champ de l'autonomie

[5] Dispositifs d’appui à la coordination

[6] L’aide « Habiter Facile », distribuée par l’Agence nationale de l'habitat (Anah), les aides de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) pour l’adaptation du logement des personnes âgées et les crédits d’impôt pour certains types de travaux. D’autres aides ont aussi été mobilisées notamment par le biais d’Action Logement, avec des taux de prise en charge, dans ce cas, pouvant aller jusqu’à 100% pour l’adaptation des salles de bains.  

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