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Notes & Projets
2 Novembre 2022

 

Études de pharmacie : le temps de la refondation

L’accès en deuxième année de pharmacie (après l’année commune avec les futurs médecins, dentistes sages-femmes ou kinés) ne fait plus recette. Un grand nombre de places (1100) sont restées vacantes au niveau national en cette rentrée 2022. Et voilà un autre pan des soins primaires qui se trouve fragilisé.

L’explication est toute trouvée pour un certain nombre d’interlocuteurs[1] : l’entrée dans les études. Autrefois, le responsable était la PACES (première année commune aux études de santé, qui avait supprimé la voie d’accès spécifique à la pharmacie en première année), aujourd’hui, ce sont les nouveaux cursus (LAS – Licence avec accès santé et PASS – Parcours d’accès spécifique santé). Ces voies d’accès mêlées ne permettraient pas de donner une visibilité suffisante aux études de pharmacie, en particulier sur Parcoursup. 

Techniquement, l’argument est curieux, puisqu’il s’agit là de voies d’accès incontournables. Les étudiants qui veulent « faire pharma » n’ont pas le choix… Mais veut-on encore « faire pharma » ou, plutôt, veut-on encore devenir pharmacien d’officine ? 

Le constat n’est pas nouveau : la voie officinale perd en attractivité depuis des années. Cela était déjà vrai lorsque l’ensemble des places du numerus clausus étaient pourvues : l’orientation des futurs pharmaciens dans la spécialisation officinale a en effet sensiblement diminué dans la dernière décennie.

Disons-le tout net : le problème ne se situe pas du côté de la visibilité d’une filière de formation mais bien plutôt dans l’image d’un métier en quête de sens et dans l’organisation de la formation afférente.

La transformation du métier

 

Le métier de pharmacien d’officine a considérablement évolué ces dernières années : vaccination antigrippale, puis anti-Covid, et maintenant rappels chez l’adulte, prise en charge par l’assurance maladie d’entretiens avec le patient, de bilans partagés de médication, implication de la profession dans la campagne de dépistage Covid-19 avec les tests antigéniques, etc.

Les exemples ne manquent pas de l’investissement des officinaux au-delà de la simple dispensation de produits de santé. Le mode de rémunération a d’ailleurs évolué, aux termes de la récente convention avec l’assurance maladie, pour accompagner ces missions nouvelles, faisant une part de plus en plus importante à des honoraires, y compris pour la dispensation des médicaments. La marge commerciale sur ces derniers a ainsi été rognée pour financer des sommes forfaitaires, variables selon le patient et les produits dispensés et censées tenir compte de la complexité de ces actes.

Au-delà de ces évolutions au niveau national, des initiatives locales voient le jour dans un contexte de difficultés marquées d’accès aux soins. S’appuyant sur le fort maillage officinal, ainsi que sur la disponibilité des pharmaciens, ces expérimentations visent à dégager du temps médical en diversifiant la prise en charge de certains actes. 

Outre des possibilités diagnostiques confiées aux pharmaciens exerçant en mode regroupé et permises par des protocoles reconnus par la Haute autorité de santé, on pense notamment à l’expérimentation OSYS (Orientation dans le Système de Soin) mise en place en Bretagne, qui vient encadrer et améliorer le rôle d’orientation par le pharmacien. Il ne s’agit pas là d’une innovation de rupture, puisque ce rôle est déjà exercé de facto par l’ensemble des pharmaciens. Si les difficultés d’accès aux médecins sont évidemment en cause, la demande des patients pousse aussi en ce sens : elle traduit une évolution de leurs comportements vers plus d’immédiateté dans une société où l’attente et les contraintes d’agenda que suppose une prise de rendez-vous sont moins facilement tolérées. 

Ces évolutions sont d’ailleurs plébiscitées par les étudiants et les jeunes pharmaciens. Les nouvelles modalités d’entrée dans la filière pharmacie ont en effet progressivement modifié le profil des étudiants recrutés, désormais davantage intéressés par les différents métiers de la santé et sensibilisés aux enjeux des autres professionnels.

Faire évoluer les formations en conséquence

 

Parallèlement aux évolutions du métier et au-delà de l’accès aux études, celles-ci ne sont pas restées figées, avec des modifications des textes régissant le premier et le deuxième cycle, intégrant par exemple la formation à la vaccination. Mais ces modifications se font souvent en accompagnement ou en réaction aux évolutions que connaît la profession. 

Les évolutions en cours et à venir du métier requièrent désormais des transformations plus consistantes et plus résolues du côté de la formation.

Ce sont des pans entiers de celle-ci qui mériteraient d’être consolidés : 

  • Afin de mieux jouer le rôle d’orientation dans le système de santé : renforcer les compétences d’orientation diagnostique des pharmaciens. L’enjeu n’est pas d’aller vers davantage de diagnostic de pathologies, mais bien de sécuriser l’orientation dans le système de soin. En entraînant davantage les futurs officinaux à mieux évaluer les plaintes des patients, il s’agit de leur permettre de déterminer si l’affection peut relever de médication officinale ou de conseil pharmaceutique, si elle nécessite au contraire un avis médical, et le cas échéant, de différencier l’urgence nécessitant une consultation sans délai de celle pouvant souffrir l’attente d’un rendez-vous. On mesure les enjeux !
     

  • Afin d’améliorer la qualité des conseils aux patients et aux prescripteurs dans les traitements médicamenteux : s’éloigner d’une approche principalement centrée sur la pharmacologie et sur les RCP (résumés des caractéristiques du produit) et renforcer la formation en vie réelle, notamment pour mieux comprendre les recommandations, les choix de traitements (bénéfices et risques) et les alternatives thérapeutiques. Pour ce faire, il est nécessaire de continuer le travail en cours sur la valorisation des stages d’externat avec davantage de formation dans les services cliniques des hôpitaux, en compagnie des médecins, mais également d’étoffer cette offre en volume et en diversité. Cela passe par la construction (et le respect) de véritables maquettes d’apprentissage incluant en outre des passages obligatoires en services cliniques (et en particulier la participation aux réunions de concertation pluri-professionnelles), en pharmacovigilance, en essais cliniques… Il s’agit également tout au long de la formation de favoriser le travail en lien avec les associations de patients pour changer de regard sur le vécu des pathologies. La formation actuelle relève d’une haute valeur technique et théorique, mais nécessite de se rapprocher davantage du terrain et du vécu !
     

  • Afin de protéger le socle de formation initiale de l’obsolescence liée à l’évolution des pratiques et des traitements : considérablement renforcer l’éducation à la démarche scientifique, l’appréhension des niveaux de preuve, la lecture critique d’articles scientifiques, la maîtrise des techniques commerciales des firmes, afin que les officinaux de demain puissent tout au long de leur carrière continuer d’exercer leur art avec un haut niveau de technicité scientifique.
     

De la difficulté de modifier les maquettes de formation

 

L’ajout – ou l’approfondissement – de ces différents éléments nécessite du temps de stage et d’enseignement. 

Ceci dit, l’intégration récente du service sanitaire des étudiants en santé a illustré les difficultés à faire de la place dans les maquettes actuelles, très chargées.

De fait, à la frontière entre la science et l’humain, entre la logistique et le médical, entre la physique-chimie et la biologie, les études de pharmacie proposent un parcours de formation très complet et très complexe. 

Ajouter des éléments nouveaux pour adapter le métier aux enjeux de demain ne peut se faire que de deux façons : un allongement des études, avec tout ce que cela engendre comme conséquences en termes de coûts pour la société autant que pour l’étudiant (et donc avec des enjeux d’accessibilité et d’attractivité), ou un toilettage des maquettes existantes.

Une hypothèse pour un allongement maîtrisé pourrait prendre la forme de formations spécifiques transversales (FST), ajoutant une option aux étudiants souhaitant aller plus loin dans leur exercice, pouvant être mutualisée avec d’autres parcours de formation. 

Quelle que soit l’option retenue, le 3ème cycle devra nécessairement considérer le statut des étudiants pour se rapprocher d’un statut d’interne, garant de la capacité à faire évoluer leurs responsabilités au sein des structures d’accueil et de leur entrée progressive dans la vie active après déjà 5 années d’études. Au-delà de la formation initiale, la formation tout au long de la vie doit également prendre son essor alors que les UFR de pharmacie sont encore très peu nombreuses à proposer des formations éligibles au développement professionnel continu (DPC).

Concernant le toilettage des maquettes, il faut bien admettre qu’il est très difficile de retirer un enseignement à un cursus de formation. Il est en effet aisé de trouver une justification à l’utilité de tel ou de tel enseignement, et il existe un certain attachement de la profession aux enseignements renvoyant à la nostalgie de l’apothicaire. Si la formation de pharmacien possède un socle centré sur les médicaments, produits de santé, sous l’angle de la pharmacologie et du réglementaire, on y trouve également des éléments plus surprenants pour un regard extérieur : au-delà de l’initiation à la mycologie assez connue du grand public (et dont les compétences restent exploitées), la formation fait la part belle à la botanique ou à la zoologie… De plus, la chimie occupe encore une place importante dans le cursus, même si celle-ci a déjà réduite il y a une dizaine d’années. De nombreuses heures de travaux pratiques sont ainsi encore consacrées à la chimie organique, analytique… S’il n’est pas question de supprimer entièrement ces enseignements, qui font la base de la production des médicaments, une réflexion pourrait être menée concernant le volume d’heures qui leur est affecté dans le parcours officinal. 

Plus globalement, dans un contexte où il est nécessaire de trouver de l’espace pour mettre le cursus au goût du jour, il faut pouvoir interroger la répartition entre savoirs généralistes considérés comme la base sur laquelle se construit l’enseignement, les éléments « culturels » de la profession et les savoir-faire fondamentaux indispensables à l’exercice. 

Il faut aussi se le dire : un changement important dans les maquettes de formation se heurtera nécessairement aux difficultés liées aux heures d’enseignements obligatoires des enseignants-chercheurs dans certaines matières, en particulier lorsque ces derniers sont rattachés à une UFR de Pharmacie isolée. De ce point de vue, la dynamique de fusion des universités et des UFR de santé est l’occasion de lever ces difficultés, par exemple en permettant l’ouverture d’unités d’enseignement optionnelles (ou obligatoires) à destination des étudiants d’autres cursus (biologie, médecine… sans oublier la préparation en pharmacie) préservant ainsi le volume d’enseignement obligatoire tout en allégeant les volumes correspondants dans les cursus des futurs officinaux.

Enfin, le lien entre le terrain et la formation est rendu plus difficile par l’absence d’une filière organisée de recherche en pharmacie d’officine qui permettrait l’émergence de corps d’enseignants exerçant une profession de santé en dehors de l’hôpital. Il est indispensable que les pouvoirs publics se saisissent de cette question afin de favoriser la création de structures analogues aux Départements Universitaires de Médecine Générale (DUMG), avec un véritable statut de titulaires pour les officinaux bi-appartenants (officinaux-universitaires). Cette démarche, qui pourrait s’étendre à d’autres professionnels (au sein de Départements Universitaires de Santé de Ville par exemple), augmenterait les capacités de la profession à structurer une démarche critique sur sa pratique professionnelle et à la transmettre, dans un registre d’amélioration continue. 

 

Anthony Mascle, pharmacien d’officine,

ancien président de l’ANEPF

(Association nationale des étudiants en pharmacie de France)

 

[1] L’Académie de pharmacie par exemple dans un avis récent : https://www.acadpharm.org/dos_public/ETUDES_EN_PHARMACIE_2022.09.26_VF1.PDF

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