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Notes & Projets 
24 janvier 2022


Inventer l’EHPAD de demain… Et si on partait de « l’expérience résident » ou, à défaut, de celle des proches

En matière sanitaire, l’expérience patient est désormais reconnue comme un facteur essentiel de pertinence de la politique de prévention et de soin, mais aussi comme un fondement pour une démocratie sanitaire vivante. 


Y-a-t-il un équivalent en matière médico-sociale et notamment dans le champ de l’autonomie ? Malheureusement, les résidents des EHPAD sont souvent dans l’incapacité de se faire entendre, si ce n’est dans le cadre des Comités de la vie sociale (CVS), trop souvent mis en sommeil pendant la pandémie. Contrairement à ce qui se passe dans certains pays, en Scandinavie par exemple, les retours à domicile sont malheurusement trop rares pour que l’on entende la parole des anciens résidents. 


C’est donc aux proches, les enfants notamment, qu’incombe bien souvent ce statut de porte-parole. A titre personnel, en moins de dix ans, j’ai eu à connaître le « placement en EHPAD » pour trois de mes parents ou ceux de mon épouse. Cela me place dans une position d’observateur privilégié, oscillant entre la réalité vécue et une réflexion prospective sur l’amélioration, voire le changement du modèle. De quatre situations concrètes et dramatiques concernant la mère de mon épouse (« elle » dans le texte), je tenterai une projection.


Première étape avant le placement – le brouillard. Elle est nonagénaire, veuve et vit à son domicile : elle ne veut pas entendre parler de la maison de retraite mais rechigne aussi à la mise en place d’une aide à domicile, puis met celle-ci en échec. Les incidents se répètent jusqu’à une consultation spécialisée par une gériatre pour qui le maintien à domicile est « sacré » et elle fait le reproche aux enfants de l’hypothèse d’un placement ; la situation demeure donc chaotique, jusqu’à ce que survienne l’incident ou l’accident (finalement si fréquent) qui oblige à l’hospitaliser ; le médecin précité, qui « chargeait » la famille, doit alors lui-même,  quelques semaines après, organiser l’hospitalisation.


Seconde étape – l’obsession sécuritaire : être admise en EHPAD, après trois mois d’hospitalisation, le 11 mai 2020 c’est-à-dire le jour de la fin du confinement pour la société, a signifié pour « elle » la perpétuation, passant du statut de patient hospitalier à celui de résident en EHPAD. Avoir saisi un regard de joie puis d’incompréhension totale pendant le laps de 45 secondes qui nous a été octroyé à trois mètres de distance au sortir de l’ambulance, quarantaine oblige, est un souvenir brûlant. Ont suivi les mesures d’isolement et de distanciation les plus sévères, poussées dans cet EHPAD à l’absurde : sa petite fille, lors d’une visite en février 2021 à peine consentie et très régulée, se fait sévèrement réprimander pour avoir étreint un court instant sa grand-mère en larmes, ne comprenant rien à sa situation d’isolement, et rien sur le plan auditif à cause des masques, de deux épaisseurs de plexiglas et du mètre cinquante de distanciation : « Nous allons devoir cesser toute visite à cause de comportements comme le vôtre ! »


Troisième étape – la maltraitance : lors d’une visite, sa fille, constate la nécessité pressante qu’elle soit changée. Après trois quarts d’heure d’errance à la recherche d’un membre du personnel dans les couloirs et une première réponse : « Bien sûr mais ce n’est pas notre équipe », une seconde, cinglante et accompagnée d’une prise en mains autoritaire du fauteuil roulant :  elle va dîner (il est 17h40) et elle sera la première à être changée après le repas.


Quatrième étape – la surdité institutionnelle : sa prise en charge varie au gré des équipes et de leur bienveillance – ou non. Lors d’incidents à répétition, voire d’accidents (deux passages aux urgences en quatre mois), la direction de l’EHPAD est alertée régulièrement par nos messages : aucune réponse, pas même un accusé de réception. A la suite d’une réunion obtenue de haute lutte avec l’ensemble de l’équipe de direction au cours de laquelle il nous est reproché l’excessive sollicitation que nous « infligeons » à l’établissement, nous décidons in fine de son transfert. 


Depuis, dans le nouvel EHPAD, le dialogue se fait humain et responsable.


Comment transformer cette expérience en propositions pour l’EHPAD de demain ? Je serais dans l’arrogance si je m’y risquais car l’expérience résident, pour valide qu’elle soit, doit être confrontée et enrichie. Pour autant, j’avancerai cinq principes qui me paraissent fondamentaux :


1)    L’aide au maintien ou plus simplement à la vie à domicile reste la base d’un parcours d’autonomie : ce devrait un service public obligatoire, comme la PMI (qui peut être assurée par des prestataires) qui incombe aux communes / aux intercommunalités, ou, à défaut, aux départements ;


2)    Les alternatives aux EHPAD doivent être puissamment encouragées. L’habitat partagé en fait partie ;


3)    L’EHPAD doit sortir résolument de son modèle hospitalier : refonte de la présence médicale (et révision drastique du rôle du médecin coordinateur), mise en place obligatoire d’un référent pour chaque résident, évaluation qualitative basée sur les processus de bienveillance ;


4)    Les EHPAD rattachés à des centres hospitaliers doivent être transférés soit à des associations, soit à des opérateurs privés;


5)    Le consentement à l’EHPAD ou plutôt au placement devrait être demandé en même temps que les directives anticipées pour éclairer la décision et alléger la culpabilité de la famille et des aidants.

 

Benoît Péricard

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