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Entretien

11 juillet 2020

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Elisabeth HUBERT

Présidente de la FNEHAD depuis 2006.

Ministre de la Santé et de l'Assurance Maladie (1995).

Docteur en médecine (1981)

« Les obstacles [à la réforme] sont consubstantiels à un système qui a très peu évolué depuis soixante ans.   »

Pouvez-vous partager un épisode qui vous a particulièrement marquée pendant la crise ?

Deux éléments ont retenu mon attention.

Le premier, positif, est la capacité d’adaptabilité du secteur sanitaire : les soins hospitaliers se sont très rapidement réorganisés pour faire face à la crise. Les hôpitaux ont su transformer des services dont ce n’était pas la mission en structures de réanimation, et certains d’entre eux ont eu l’humilité de tendre la main au secteur hospitalier privé pour recevoir de l’aide.

Le deuxième élément, lui, est négatif. Nous avons vu des EHPAD refuser l’accès aux intervenants de l’hospitalisation à domicile, qui ont donc été empêchées de délivrer des soins indispensables à leurs résidents, par crainte de laisser entrer l’épidémie entre leurs murs. Ils ont maintenu ce refus même après que l’épidémie avait déjà pénétré leurs établissements. L’aveuglement dont certains ont fait preuve m’a marquée.

Quels sont les deux enseignements que nous retenez de la crise ?

Tout d’abord, la crise a révélé tous les défauts de notre système de soins dénoncés par un certain nombre de personnes depuis des années. Notre système de santé procède par strates, et se divise en secteurs qui ne communiquent pas suffisamment : l’hospitalier public et privé, l’hospitalier et l’ambulatoire, le sanitaire et le médico-social… La crise a prouvé qu’un tel système ne pouvait durer, car il est coûteux et profondément insatisfaisant pour les personnels au quotidien. Les personnels sont convaincus que leur mission devrait être tout autre : elle devrait se centrer sur le service des patients.

La crise a également révélé que l’on raisonnait trop souvent de façon administrative, c’est-à-dire en privilégiant la protection individuelle au détriment de l’agilité collective. La crainte de la réprimande, le fait d’avoir des responsabilités diluées, pas toujours clairement identifiées, mènent à des processus de décision trop longs et trop compliqués. Ceux-ci impliquent des procédures constituées de dizaines de pages de formulaires, mais également un centralisme très important : beaucoup de choses doivent remonter à Paris et au niveau central de la région… alors que ce sont les territoires qui permettent l’agilité.

Quelle réforme devrait être portée dans le cadre du Ségur de la santé ?

Les principaux sujets du Ségur de la santé, c’est-à-dire l’amélioration du travail des professionnels, l’amélioration des modalités de financement, un travail de simplification et une approche territoriale, étaient les bons thèmes de réforme. Mais ces quatre thèmes étaient déjà ceux de la loi « Ma santé 2022 », qui a été adoptée il y a moins d’un an au Parlement. Nous savons donc déjà ce qu’il faut améliorer ; nous n’avons pas besoin de choses nouvelles. Quand l’ex-Premier ministre Edouard Philippe disait qu’il fallait aller plus vite et plus loin, il résumait bien la situation : la direction est la bonne, mais il faut accélérer les changements.

Pour cela, il faut cesser de ne s’intéresser qu’à soi ou de se méfier des autres, en se disant que c’est à eux d’évoluer et de prendre des mesures, ou pire encore que l’on est le seul à pouvoir faire ce qu’il faut. Sur ce point, l’élément positif du Ségur a été d’amener les acteurs à se parler, à s’écouter, et parfois même à s’entendre.

Quel est l’obstacle majeur sur la voie d’une telle accélération ?

Les obstacles sont consubstantiels à un système qui a très peu évolué depuis 60 ans. La France adore les cathédrales – ce qui est louable lorsque cela concerne Notre-Dame, mais moins lorsque ces cathédrales sont les CHU[1], les statuts hospitaliers et hospitalo-universitaires, ou encore les divisions entre hospitaliers publics et praticiens ambulatoires. Ces statuts et divisions créent une hiérarchie, entre ceux qui vaudraient plus et ceux qui vaudraient moins. La France est prisonnière d’une démarche qu’elle n’a pas entièrement supprimée en 1789 : elle est toujours à la recherche d’élites, les sacralise et est incapable de les challenger.

Ainsi, tout dépendra de notre capacité à nous remettre en question, à nous demander si l’on ne pourrait pas faire mieux et moins cher… Je crains que l’on continue à tout faire pour pérenniser les forces en présence. Nombreux sont ceux qui disent avec assurance que le monde de demain ne sera pas le même qu’hier – je n’y crois pas trop.

Quelle est la meilleure façon de challenger ce qui a été pérennisé depuis si longtemps ?

Je pense qu’il faut vraiment jouer la carte des territoires – même si je suis traditionnellement une vraie jacobine. Lorsque je parle de territoire, je ne pense pas aux régions ou aux départements mais aux territoires de santé. Il faut challenger les acteurs locaux, que ce soient les élus, les usagers de la santé, les professionnels de l’hôpital, de l’ambulatoire, du médico-social, qu’ils soient médecins, infirmiers, pharmaciens, ou tout autre métier. Cela doit se faire au sein des Conseils territoriaux de santé, qu’il faudrait certainement revoir un peu à la marge mais qui ont l’avantage d’exister.

Ces Conseils territoriaux de santé doivent, avec un appui de proximité de la part des ARS[2] – c’est-à-dire avec des délégations territoriales beaucoup plus fortes qu’elles ne le sont aujourd’hui – faire émerger un véritable projet de santé. Ce projet de santé doit être conforme aux besoins des patients d’un territoire donné, qui se distinguent de ceux d’un territoire à l’autre bout de la France, et doit être construit sur des solutions concertées.

Une fois que les acteurs territoriaux se seront mis d’accord sur des solutions consensuelles répondant à des besoins non couverts, ces réponses devront immédiatement être mises en œuvre et financées au niveau du terrain. Cela amènera à mieux poser l’utilité de certains établissements hospitaliers, qui n’ont peut-être pas besoin d’être dimensionnés comme ils le sont – ou au contraire à consacrer davantage de moyens dans certaines régions où les besoins de la population sont plus grands. Il faudra également réfléchir au fait qu’une clinique peut être plus à même de jouer un rôle pivot au niveau du territoire qu’un hôpital public.

Ainsi, l’objectif principal aujourd’hui est de mettre au défi les acteurs des territoires, afin qu’ils construisent une offre de santé territoriale qui corresponde aux besoins de la population.

Propos recueillis le 6 juillet 2020 par Julie Jolivet.

 

[1] Centres hospitalo-universitaires.

[2] Agences régionales de santé.

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